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    Lorsqu'un matin dans les montagnes les plus hautes de ce monde, la petite Naïta quitte la légendaire cité des nuages pour rencontrer son avenir à la pointe du Destin, elle voit venir beaucoup plus qu'une enfant comme elle aurait pu espérer. Mais est-ce le cadeau d'une vie, ou la pire des malédictions qui se présente à elle ce jour là?

     

    L'héritage de l'Azur ©

     

    Les vapeurs du torrent enveloppaient la citée d’une écharpe de gouttelettes fines et froides. Les voiles de l’aube formaient une voûte de brouillard si dense que seule une part infime de la lumière du jour se faufilait à travers. Partout dans le temple, l’eau s’écoulait doucement le long des visages grimaçants des statues divines, ruisselait entre les galets pavant la cour intérieure et s’agrippait au feuillage persistant des arbres millénaires qui y trônaient. Des demeures alentour, aucun son ne s’échappait. Les portes massives en bois laqué de vermillon étaient closes et les gardiens de céramique veillaient, agrippés aux tuiles des toits relevés.

    Il était encore bien tôt. Yâo dormait paisiblement près de son frère et sa sœur dans un grand lit sous une épaisse couverture de laine tissée aux couleurs vives qui lui remontait jusque sur le nez. Une tenture était pendue devant l’alcôve où ils dormaient, les séparant de la couche de leurs parents. Au pied du lit, le petit poêle à charbon finissait sa nuit et sa tiédeur bienfaisante faisait place au froid humide comme chaque matin.

    Soudain, brisant les derniers rêves du jeune garçon, les cloches d’alerte résonnèrent à travers les brumes de la cité. Le cor des géantes de bronze retentissait, pétrifiant les songes inachevés. Chaque gong se propageait en ondes furieuses venant frapper violement la porte de chaque maison endormie. Leur écho lourd et grave ébranla toute la cité dans un tremblement de peur rugissant, écrasant les poitrines, oppressant les cœurs. Yâo se redressa dans son lit, ses cheveux noirs en bataille, le visage encore bouffi de sommeil, ses paupières bridées et lourdes, refusant de s’ouvrir. Cet éveil brutal lui arracha un long bâillement alors que sa mère soulevait la tenture et se précipitait vers eux. D’un geste rapide elle lui secoua les épaules lui faisant signe de s’occuper de son cadet et enveloppa sa petite sœur dans un châle. Yâo avait compris qu’il devait faire vite. Tirant son petit frère grognon du lit, il lui jeta son gilet de laine noircie sur les épaules et l’aida à se chausser après avoir fait de même. Prenant sa main, Yâo l’entraina dans les pas de leur mère.

    Près du foyer, le père terminait tout juste de nouer ses braies et enfilait une grande veste de cuir doublée de fourrure. Il saisit son fusil qu’il chargea avant de se précipiter, invitant d’un geste sévère toute la famille à le suivre dans la cour. Yâo vit que son père avait les même yeux vifs et sourcils froncés que lorsque lui ou son frère avait fait une bêtise. Mais la main qu’il posa sur la tête de son fils avant de lui emboiter le pas rassura le jeune garçon. Son père semblait en colère et soucieux mais ce n’était pas de leur faute. Le frère de Yâo se frottait les yeux demandant à sa mère ce qu’il se passait mais elle ne lui répondit pas.

    Yâo saisi cependant ce qu’elle chuchota à son époux, serrant sa petite sœur contre son sein.

    « Cela fait des années… Crois-tu vraiment que l’oracle…? »

    Le père du garçon avait levé la main, intimant le silence à sa femme.

    « Ecoutes ! » dit-il.

    Comme s’il y avait autre chose à entendre que ces maudites cloches.

    Ils traversèrent en hâte la petite cour de leur logis et s’engagèrent dans le passage étroit que le mur d’honneur formait avec la porte d’entrée.

    Une fois dehors, Yâo s’aperçu que les autres occupants de la cité avaient fait de même que lui et ses parents. Tous étaient sortis de chez eux, les hommes à peine accoutrés, l’arme au poing et le sac de poudre à la ceinture. Tous se dirigeaient dans la même direction, foulant les galets glissants à travers les venelles étroites, sous les portiques des demeures, grossissant pas à pas le flot d’habitants à mesure qu’ils se rapprochaient de la grande place devant le temple. C’était le cœur de la cité, situé au milieu du grand pic central sur lequel elle avait été construite et s’agrippait défiant le vide depuis des siècles. Autour gravitaient les autres sommets qui, au fil des décennies, s’étaient peuplés et que de nombreuses passerelles reliaient les uns aux autres.

    La réverbération assourdissante des cloches s’estompait doucement, laissant leur timbre profond s’évanouir vers les pics enneigés. Yâo ne comprenait pas ce qui se passait. Même près de ses parents il se sentait perdu. Le son de ces cloches signifiait la destruction probable de la cité, mais jamais elles n’avaient retenti de son vivant.

    Un silence pesant suivi, ou plus rien ni personne ne bougea. Chacun scrutant le ciel, entre les méandres de brume bleutée. Les sabres dressés, les fusils prêts à tirer leur charge. Tous les hommes, y compris son père, étaient sur le qui-vive, mais rien ne venait.

    Quelques murmures s’élevèrent ici et là parmi la foule.

    « Fausse alerte ? » chuchotait l’un.

    « La vigie a trop bu ma parole ! » marmonnait un autre.

    Mais si certains cherchaient à se rassurer, Yâo sentait monter l’angoisse. Ce calme qui régnait à présent n’avait rien de naturel. On n’entendait même plus le grand fleuve qui serpentait dans le creux de la gorge quelques centaines de mètres plus bas. Même lui semblait s’effacer.

    Yâo frémit. Instinctivement il pressa la main de son frère dans la sienne. Tout le monde paraissait attendre une ultime résonance. Le jeune garçon la sentait grandir en lui, susurrant à ses oreilles qu’il était trop tard, que le trépas était déjà sur tous.

    D’un instant à l’autre on l’entendrait. Un grondement de tempête, un cri qui glace le sang…

    Un appel que seule la mort pouvait lancer.  ©

     

    à suivre...

      

     Chapitre II

     

     

     

     

     Les Gardiens.

     

     

     


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    Lorsqu'un matin dans les montagnes les plus hautes de ce monde, la petite Naïta quitte la légendaire cité des nuages pour rencontrer son avenir à la pointe du Destin, elle voit venir beaucoup plus qu'une enfant comme elle aurait pu espérer. Mais est-ce le cadeau d'une vie, ou la pire des malédictions qui se présente à elle ce jour là?

     

    L'héritage de l'Azur ©

     

    « Qui a donné l’alerte ? » 

    La voix tonitruante de Toräl résonna avec puissance dans l’air embrumé, déchirant sans le moindre égard le silence que tous avaient respectueusement adopté. À cet appel autoritaire, tous les habitants se tournèrent vers leur chef et quelqu’un s’approcha du dirigeant de la cité avec déférence pour l’informer de la situation.

    « C’est la vigie en poste à l’est du grand pic, seigneur. Apparemment il aurait repéré un mouvement inhabituel sur le versant du levant et… » 

    « Inhabituel ?! Est-ce une raison suffisante pour déclencher ainsi la panique dans toute la ville ?... Il y a plusieurs lunes que les Yangzï n’ont pas tenté d’approche. Et même dans ce cas, rien ne justifie qu'on sollicite l'appel des géantes. Qu’a-t-il vu exactement ? » 

    L’homme qui faisait face à Toräl baissa les yeux à terre.

    « Eh bien, nous ne sommes pas sûrs qu’il s’agisse de l’Arcane, mais…» 

    « Autant dire que la vigie n’a rien vu ! Toute fausse alerte est sévèrement punie. J’espère qu’il s’en souvient. »  

    « Oui seigneur. S’il s’avère qu’il s’est trompé, il acceptera son châtiment, mais… » 

    « Regardez !!! », cria quelqu’un dans la foule en pointant son doigt vers le ciel encore chargé d’une vapeur épaisse.

    Tous levèrent les yeux mais ne virent rien. Celui qui avait désigné les nuages avait eu juste le temps de distinguer une énorme masse au-dessus de ces derniers. Mais la forme sombre avait aussitôt disparu derrière la couche de brume. Ce qui confirma les craintes de chacun et balaya les doutes de Toräl, ce fut un bruit sourd et doux comme porté par l’air chargé d’eau. L’épaisseur de ce dernier semblait renvoyer le son d’une grande voile qui claque sans l’aide du vent, remuant les volutes de brouillard sur un rythme lent mais puissant, tel le battement d’un cœur de colosse. Un murmure parcourra la foule figée. Quelques morceaux de ciel tourbillonnèrent doucement sur le passage de l’Arcane.

    La vigie ne s’était pas trompée. Toräl ne pouvait y croire. Cela faisait des années que cette chose n’était pas reparue, et le chef de la tribu avait eu la naïveté de croire qu’il ne se manifesterait plus. Il avait eu tort de ne pas vouloir entendre les prédictions du chaman, même si elles manquaient parfois d’exactitude. Il devait admettre aujourd’hui que ce vieux fou avait vu juste… Encore. Cette pensée lui était insupportable. Toräl savait qu'il y avait une raison à ce retour mais laquelle? Ses poings se serrèrent, les yeux toujours rivés au ciel. Ce ciel d’où le mal faisait de nouveau surface.

    Tous restaient immobiles tandis que le bruit s’éloignait. Une fois sa propre crainte estompée, Toräl pris la parole, moins fort mais de manière tout aussi imposante.

    "Il va vers l’ouest. Il compte sans doute s’en prendre aux troupeaux mais il va revenir et, une fois les brumes dissipées, il risque de nous attaquer. Il faut que les femmes et les enfants se refugient immédiatement dans la grotte de la gorge. Lorsqu’il reviendra nous devrons être prêts à l’abattre." 

    Ses paroles ne souffrant pas d’objections, Toräl tourna les talons après cet ordre et chacun s’exécuta. Les enfants les plus jeunes emportés dans les bras de leurs mères ou tenant la main de leurs aînés. Tous quittaient les bâtisses avec quelques vivres emportés précipitamment dans un linge noué ou un panier tressé. Partout les chausses de peau et les bottes en fourrure foulaient en toute hâte le pavé millénaire de la cité, détrempé et glissant. Toräl s’en revenait à grands pas vers son propre foyer et vit son épouse en sortir, l’air inquiet. Le chef de la cité compris la situation en un éclair, constatant le teint livide de sa femme. Il pressa le pas pour la rejoindre.

    Sachant pertinemment qu’il n’obtiendrait pas la réponse qu’il espérait, il demanda tout de même, une pointe de rage fébrile dans la voix.

    « Où est Naïta ? ». ©

    à suivre... 

     

    L'héritage de l'Azur : Chapitre III

     

     

     

     

      

    Demeure de Toräl. 

      


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  • Lorsqu'un matin dans les montagnes les plus hautes de ce monde, la petite Naïta quitte la légendaire cité des nuages pour rencontrer son avenir à la pointe du Destin, elle voit venir beaucoup plus qu'une enfant comme elle aurait pu espérer. Mais est-ce le cadeau d'une vie, ou la pire des malédiction qui se présente à elle ce jour là?

      

    L'héritage de l'Azur ©

     

    Naïta observait les premières lueurs du jour derrière les crêtes qu’on avait appelé « Les Dents d’Azur ».

    C’était, d’après le chaman, une créature ancienne qui vivait parmi les nuages. Un être différent des hommes mais gardien d’une immense sagesse. Ses connaissances allaient jusqu’aux origines du monde et il était éternel.

    Mais Toräl, le père de Naïta, n’était pas de cet avis. Il affirmait qu’Azur était certes la manifestation vivante de l’Arcane, vénéré de tous, mais une entité opposée au dieu de la cité. Un être maléfique et nuisible, que les hommes avaient tué depuis plusieurs siècles. Pourtant parfois, certains habitants de la cité avaient cru l’entendre revenir, et ils avaient écouté son souffle glisser entre les pics montagneux. Le battement de son cœur aller contre le vent. Ils l’avaient toujours entendu certes, mais ils ne l’avaient jamais vraiment vu.

    Pour le chaman, ces passages étaient de bon augure.

    Pour Toräl, ces présages n’apportaient que malheur au contraire.

    C’était une menace, un mal à combattre. Les deux hommes s’étaient souvent disputés sur le sujet et même si Naïta les avait entendu parfois, son jeune âge ne lui avait pas permis de tout comprendre. Ce qu’elle avait saisi en revanche c’est qu’Azur n’avait pas reparu depuis que la fillette avait eu deux ans. Aussi, l’enfant, forte de ses dix années, avait fini par se dire qu’il s’agissait d’une légende. Une histoire de plus pour obliger les enfants à être obéissants.

    « Sois sage, et ne t’aventure plus dans les montagnes sinon l’Arcane t’emportera ! » lui disait sa mère.

    « Pff ! »

    Naïta leva les yeux au ciel à cette pensée. Une ruse pour rendre les plus petits dociles, voilà tout ! Mais à force de l’entendre et de ne jamais rien voir venir, la fillette avait vite compris la supercherie. L’Arcane était plutôt un mythe. Pour les Changü il était un guide spirituel, un dieu aux traits indécis.

    Un sourire se dessina sur ses lèvres. Elle se remémorait tout ce qu’elle avait fait endurer à sa pauvre mère, du jour où elle avait su qu’aucune punition divine ne tomberait du ciel, ainsi qu’on tentait de lui faire croire. Ce qui rendait son père fou de rage rendait sa mère morte d’inquiétude. La fillette était sa seule enfant. A sa naissance, Naïta avait déchiré le ventre de sa mère. Elle n’avait pas pu naître de manière naturelle au moment de la délivrance. Ce fût le chaman lui même qui les sauva toutes les deux ce jour là, bousculant les habitudes pour lesquelles l’enfantement devait rester une affaire de femmes. Il avait ouvert le ventre, sorti le bébé et recousu la plaie à l’aide de fils de soie. Seul témoin de cette épreuve, la large cicatrice que la fillette avait surpris certains soirs à la lueur d’une chandelle, à l’heure du coucher. La marque d’une douleur passée et présente, car depuis il n’était plus possible pour la mère de Naïta d’enfanter de nouveau.

    Mais même si la fille du chef était le seul trésor de sa mère, cela ne l’avait pas empêchée de s’aventurer toujours plus loin. Elle adorait grimper aux arbres jusqu’à leur cime et y accrocher des rubans ou des drapeaux de prières, trophées de ses exploits toujours plus grands. De là-haut le vent emporterait mieux ses pensées et ses rêves à travers les sommets.

    De temps à autre, Yâo, son ami de toujours l’accompagnait. Il avait le même âge qu’elle, mais celle-ci avait souvent du mal à supporter ce poltron qui tremblait à peine sorti de la cité. Il passait son temps à se plaindre, à exprimer ses craintes d’être puni et, dans ces moments là, Naïta ne le trouvait pas amusant. Il lui gâchait son plaisir. Même si elle l’aimait bien, elle préférait qu’il reste à la cité pour faire le gué et couvrir son absence en cas de besoin. Mais il insistait souvent pour la suivre.

    En tous cas, ce matin, Yâo, devait encore être au fond de son lit, bien au chaud. Naïta ne lui avait rien dit de ses intentions. C’était inutile car cela ne regardait qu’elle. Il en était tout autrement pour le chaman.

    Après la leçon et les offrandes rituelles de la veille au temple, le vieil homme avait interpellé Naïta avant qu’elle ne sorte pour rejoindre les autres enfants.

    « J’espère que tu me raconteras mon enfant ! » avait-il lancé d’un ton faussement naïf.

    La fillette s’était figée sur le pas de la grande porte écarlate, flanquée d’anneaux de bronze retenus par la gueule imposante d’une tête de chien au regard fou. Naïta s’était tendue, le cœur battant, trahie par son secret mal dissimulé dans sa sacoche. Elle imaginait déjà tout son plan tombé dans les tourbillons du grand fleuve. Mais elle s’était calmée en se retournant vers le maître des prières. Ses yeux en amande flétris par le temps, affichaient malgré tout un regard rieur sous ses sourcils en broussaille et un sourire espiègle se profilait dans sa fine barbe blanche.

    Il savait. Mais il n’en dirait pas plus. Ni à elle, ni aux autres. Elle pouvait lui faire confiance, et il était bien le seul.

    Naïta avait l’habitude de se confier à lui car il était toujours de bon conseil et il semblait croire en elle. Il ne la réprimandait jamais pour ses escapades en pleine montagne.

    Courbé sur sa canne d’ébène sculptée, il semblait porter sur ses épaules osseuses tout le poids de l’histoire de leurs ancêtres. Mais on ne pouvait se fier à cette apparente fragilité. Le vieil homme avait le regard vif et l’on pouvait sentir à travers l’ampleur de ses gestes, la souplesse d’un corps qui avait connu le combat mais qui avait également trouvé l’harmonie et la sérénité après toutes ces années. Ses discours étaient bienveillants et lorsque il se montrait dur, il savait rester juste. La fillette ainsi que tous les occupants de la cité le respectaient pour cela. C’était un homme sage et vénérable.

    Que pourrait-elle bien lui raconter ? Pour le moment elle guettait l’arrivée du soleil. Il n’allait plus tarder. En témoignait le ciel rose pâle empli de clarté derrière les crêtes. Le tapis de brume à ses pieds formait un lac bleuté et poudreux. Une épaisse couche transpirante et froide qui la séparait de toute vue sur la cité plus bas.

    Elle préférait être là. Plus haut, au-dessus du monde. S’élever, s’évader, sortir de cette ville de brume humide, toujours prise dans les nuages. Naïta avait besoin de lumière et d’altitude. La plateforme était haute sur les cimes et l’air y était restreint. Naïta avait l’habitude. Assise dans la position du lotus, elle respirait lentement et économisait son souffle.

    Elle était prête depuis plusieurs minutes à présent. Une fois grimpée sur le rocher, elle avait détaché ses longs cheveux et s’était empressée de sortir de sa sacoche son précieux chargement. Quatre ‘’Cóngs’’, de petite taille, mais tout à fait adaptés au rituel qui allait suivre.

    Les Cóngs étaient des pierres de prières tubulaires, la plupart du temps, taillées dans du jade. Leur particularité était de se présenter sous l’imbrication de deux formes. Une section carrée sur l’extérieur et une section ronde à l’intérieur. Plus ou moins longues et creuses, leurs angles se paraient de sculptures millénaires, parfois indéchiffrables, datant des anciens. Les Cóngs courts se transmettaient de génération en génération aux plus jeunes pour leur initiation et Naïta avait hérité ceux-ci de sa mère. Plus tard, chacun était libre de fabriquer ses propres pierres au prix de plusieurs années de travail à l’usure et au frottement de ce matériau si dur à façonner. Plus les Cóngs étaient grands, plus on en tirait de puissance.

    Comme tous les autres enfants de son âge, la fillette n’avait le droit de s’en servir que dans l’enceinte du temple. Bien sûr elle s’en moquait. De plus, le silence approbateur et confiant du chaman lui avait ôté tout problème de conscience.

    Naïta avait placé ses quatre pierres sur des marques de la même forme. Leurs empreintes étaient taillées dans le granit de la pointe du destin. Le socle était érodé par les vents et la glace qui s’y logeait chaque hiver durant des mois. Pourtant, les Cóngs s’y encastraient à la perfection, en position verticale. 

    Le carré pour la terre, le cercle pour le ciel, les symboles avaient trouvé leur place. La fillette en était à la fois étonnée et exaltée. Mais ce n’était que le début. Comme elle l’avait appris, il fallait à présent appeler l’Arcane à son aide et obtenir sa bienveillance. Elle ferma les yeux et marmonna une courte prière la répétant encore et encore, la transformant en secret à peine chuchoté du bout des lèvres.

    « Dāng Quān Guàn Fāng… Lián Kōng Tong Lù… Dāng Quān Guàn Fāng… Lián Kōng Tong Lù… » 

    Autour d’elle, les Cóngs formaient une porte ouverte vers chaque point cardinal. Naïta, toujours tournée vers l’est, prit une profonde inspiration et entonna une note unique, grave et vibrante, sortie du plus profond de sa gorge. Le son qu’elle produisit alors s’empara de l’espace autour d’elle. Les pierres se mirent à briller. Une douce clarté émanait d’elles comme si la flamme d’une bougie vivait en leur cœur. A mesure que Naïta amplifiait l’intensité de sa note sans la relâcher d’une voix pleine, les Cóngs s’illuminaient d’un éclat froid, canalisant l’énergie élémentale appelée par l’enfant. Puis celle-ci modifia très légèrement le timbre de sa voix, l’élevant un peu plus haut dans l’air.

    Un faisceau de lumière poudreuse sortit de chacune des pierres, s’étirant droit vers le ciel. Ils formaient quatre fins piliers, montant à l’assaut des dernières étoiles. Naïta maintenait sa note vibrante avec habileté et puissance. Il ne fallait pas flancher à ce stade du rituel. L’éveil des Cóngs était en marche. Répondant à l’appel de la fillette, leurs angles saillants produisirent bientôt des langues de poussière bleutées, pareilles à des flammèches de glace. D’abords timides puis se déroulant comme des serpents volatiles pour mieux se rejoindre entre chaque pierre. Lorsqu’ils se touchèrent les portes éclatèrent en leur centre sous l’éclair d’un orage qui aurait pu tenir dans la main et comme une onde à la surface de l’eau, la lumière envahit l’espace entre les Cóngs, fermant les quatre portes autour de Naïta. Elle avait réussi. Sa prière avait ouvert le passage vers le ciel. Dans son esprit la litanie lancinante achevait son œuvre.

    « Qǐ Mén Lan Tiān… Qǐ Mén Lan Tiān… » 

    La colonne d’aurore qui la cernait, dont la seule issue se trouvait au-dessus d’elle, atténuait en son sein l’attraction terrestre. Naïta ouvrit les yeux et la bouche, soutenant une note encore plus aigüe et plus claire tandis que son corps s’élevait d’une dizaine de pouces au-dessus du sol. Elle ressentait pleinement la légèreté de tout son être jusqu’à la pointe de ses cheveux qui flottaient doucement dans l’air adoucit de l’espace qu’elle avait créé.

    C’est face à la porte de l’Est et à travers le voile de lumière diaphane qui protégeait ses yeux, que Naïta accueillit le Soleil.  ©

     

    à suivre...

    Chapitre IV 

     

     

     

     

     

     

     

    Cóng de jade.


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  • Lorsqu'un matin dans les montagnes les plus hautes de ce monde, la petite Naïta quitte la légendaire cité des nuages pour rencontrer son avenir à la pointe du Destin, elle voit venir beaucoup plus qu'une enfant comme elle aurait pu espérer. Mais est-ce le cadeau d'une vie, ou la pire des malédiction qui se présente à elle ce jour là? 

     

    L'héritage de l'Azur ©

      

    Naïta ne put retenir un petit cri de joie lorsque l’astre du jour laissa pointer ses premiers feux entre deux pics. C’était le moment. Les secondes qui allaient suivre seraient décisives et vite écoulées. Chaque instant comptait. La fillette savait peu de choses, seulement qu’elle devait fixer le disque lumineux, à travers le voile de la porte du ciel, jusqu’à ce que ses yeux ne voient plus que lui. Se concentrer sur son éclat, oublier tout autour d’elle et observer son avenir dans la lumière blanche, aveuglante et mouvante. Exercice difficile, car il fallait conserver son calme et toute sa concentration pour garder l’énergie des Cóngs en éveil.

    Naïta y croyait vraiment. Son désir de savoir était immense, mais son excitation si grande que sa méditation manquait de maintien. Tout allait très vite et la protection de la porte ne tiendrait pas longtemps. Déjà le flamboiement de l’astre lui brûlait la vue. Mais elle tenait bon, essayant de retenir éclairs et formes changeantes pour en mémoriser les signes et les interpréter ensuite avec l’aide du chaman. Ses yeux bleus sensibles scrutaient tout, derrière ses paupières bridées quasiment closes. Pourtant la lumière si forte sembla soudain s’amenuiser.

    Le soleil poursuivait son ascension dans le ciel orangé mais une forme sombre se profilait à l’intérieur. On aurait dit qu’il se fendait en deux pour déverser la matière noire de son cœur. Naïta resta fixée dessus, hypnotisée. L’image grossissait lentement, formant une ligne obscure, épaisse et plane aux contours flous, traversant l’astre de part en part. La fillette plissa encore plus les yeux, le cœur battant. Elle n’aurait jamais rêvé mieux. Un signe, un vrai lui était envoyé ! Cela ressemblait à un grand oiseau. Un grand oiseau dont la silhouette tremblait de chaleur et s’arrachait à l’astre pour planer vers elle. Naïta perçu un infime mouvement, comme s’il battait des ailes puis planait de nouveau dans le halo que la fillette fixait depuis trop longtemps. Quelques clignements d’œil et le nimbe de matière gazeuse que ses yeux avaient créé s’estompa.

    La porte du ciel se referma en quelques secondes et l’enfant retomba brutalement sur le granit au-dessus duquel elle lévitait. Ses voiles qui avaient entouré la fillette d’une aura protectrice, s’évanouissaient doucement à mesure qu’elle reprenait ses esprits. Naïta revenait dans le réel tandis que les Cóngs laissaient mourir leur cœur de lumière pour redevenir de simples pierres.

    Tout reprenait forme autour de la fillette. La montagne, la roche de la plateforme sous ses pieds, la brise dans ses cheveux, le chant des arbres qui s’éveillent. C’était fini. Elle avait perdu le lien. Mais sans doute était-ce normal. Ce rituel ne pouvait s’éterniser sous peine d’y perdre la vue. Sans doute fallait-il être plus rapide, ne pas se déconcentrer, observer un endroit précis… Elle avait fait de son mieux. Son cœur se serra à la simple idée de ne pas être encore prête et de devoir attendre à nouveau toute une année. Une longue année et son interminable hiver, durant lequel aucune porte du ciel ne pouvait être ouverte. Quel ennui et quelle déception. Tant d’attente pour un si court instant. Naïta trouvait cela injuste mais telles étaient les lois de l’Arcane. C’est ce que le chaman lui répétait sans cesse lorsqu’elle se montrait trop impatiente.

    Elle s’étira tandis que ses yeux retrouvaient petit à petit les repères et les couleurs de son entourage. Elle s’apprêtait à se relever quand elle entendit résonner les cloches de la cité. Leur écho se répercutait comme un coup de tonnerre inattendu dans le fond de la vallée. Chaque note remontait plus haute que la précédente, gravissant les airs pour l’avertir au plus vite. L’alerte ! L’espace d’une seconde, Naïta pensa qu’elle avait dû aller beaucoup trop loin cette fois, au point que tous se mettent à sa recherche. Mais son père n’aurait pas fait une chose pareille, même pour elle. Non, c’était le signe d’un danger imminent. Les géantes n’étaient presque jamais éveillées. Même en cas d’attaque ennemie l’alarme était donnée par la mise à feu de bûchers de détresse. Une chose bien plus grave venait de se produire, et comme elle n’était pas à la cité, elle risquait d’être sévèrement punie pour son absence dans un moment pareil. Si toutefois elle revoyait la cité ! Mais qu’est-ce qui pouvait menacer la ville des nuages à ce point ? D’où venait l’attaque ? Les peuplades sur l’autre versant ne s’étaient pas manifestées depuis des mois et ils étaient en paix avec la tribu de Toräl. Il n’y avait aucune raison que les cloches résonnent sauf pour… Naïta se figea. Instinctivement, son regard se tourna lentement vers le soleil. Ce qu’elle vit la saisi, elle resta tétanisée sur la pointe de la plateforme.

    Au centre du disque lumineux, l’étrange forme volante, qu’elle avait perçue comme une image de son avenir, était toujours là. Ce n’était pas une vision, c’était réel. L’espace d’une seconde, Naïta fut profondément déçue car cela voulait dire qu’elle avait échoué dans le rituel du jour. Et avec la déception c’était l’angoisse qui s’installait à présent car cette forme n’avait rien d’un oiseau. Le chaman n’avait jamais parlé de cela. Les portes du Ciel ne faisaient pas apparaître de choses réelles, seulement des chimères et des liens avec l’au-delà. La fillette écarquilla les yeux alors que les cloches s’étaient tues. La créature battait des ailes lentement, puis planait de nouveau sous le vent. Elle se rapprochait, elle grossissait maintenant à vue d’œil occultant presque le soleil derrière sa masse imposante. Puis elle prit de l’altitude, s’arrachant à la lumière aveuglante, Naïta eu soudain du mal à la distinguer. Elle était quasiment du même bleu que le ciel. Elle était gigantesque. Des pointes se profilaient sur sa tête et une longue queue ondulait comme un serpent derrière elle. Elle venait droit vers l’enfant.

    Naïta était incapable de bouger, perdue entre terreur et fascination. Mais dans quelques instants la créature serait sur elle. Elle avait dépassé la cité. Maladroitement, la fillette rampa, reculant ses pieds et ses mains sur la roche sans quitter la bête des yeux. Les rayons du soleil se reflétaient sur son ventre, la rendant encore visible, car ses ailes se confondaient avec l’azur.

    L’azur… Azur ! Mais peut-être bien. Se pouvait-il que ce fût l’Arcane, ou son entité céleste, dont on lui avait tant parlé qui volait maintenant vers elle ? C’était incroyable. Eblouie par cette hypothèse, Naïta se rembrunit malgré tout. Elle n’avait aucune idée de ce qu’était cet être. Puissant et divin, amical ou maléfique. Il fallait se cacher, ne pas être vu de lui.

    La fillette se laissa glisser avec agilité du haut de la plateforme et atterrît en souplesse sur le sol rocailleux. Elle se colla à la paroi pour rester dans l’ombre de l’énorme rocher. Ici, elle était à l’abri mais pouvait encore voir ce qui se passait alentour.

    Quelques instants après, la bête était sur elle. Quatre battements d’ailes, et elle se posa à quelques pieds au-dessus de la plateforme. Naïta sentit le sol trembler sous ses semelles de cuir lorsque le monstre fit ses premiers pas. Coincée dans sa cachette de fortune, Naïta ne pouvait que deviner les faits et gestes de la créature en tendant l’oreille. L’expiration puissante semblait sortir du fond d’une caverne. Chaque respiration s’accompagnait d’une sorte de grognement guttural comme le roulement du tonnerre à l’approche de l’orage. Pour le moment elle ne bougeait pas, elle reprenait son souffle sans doute.

    Naïta restait collée à la paroi rocheuse tant bien que mal. Le sol penché était couvert d’une multitude de petits cailloux qui la faisaient insidieusement glisser. Tandis que la bête se calmait, son rythme cardiaque à elle s’accélérait. Elle sursauta en entendant un crissement sur la roche, puis un autre, puis encore un autre. Que se passait-il ? Sur la pente abrupte, elle vit dévaler des rochers de toutes tailles allant se jeter dans le vide. La fillette ne put s’empêcher de se pencher légèrement pour voir ce qui se passait plus haut. Ses mains se crispèrent sur le mur et son cœur fit un bond dans sa gorge où elle étouffa tant bien que mal son émotion.

    L’étrange créature était encore plus énorme qu’elle ne l’avait estimée. Elle avait l’allure d’un monstrueux lézard d’au moins trente pieds de long. Mais sa masse gigantesque se cachait derrière un voile de brume mouvante. Comme si le brouillard de la cité s’était agrippé à ses écailles et ses cornes, tout comme il côtoyait sans cesse les montagnes. Le monstre était comme un éclat de sommet, de la couleur du ciel et à l’odeur de feu. Pareil au métal ardent que l’on plonge dans l’eau à la sortie de la forge. D’où venait-il ? Et pourquoi était-il là ? La vapeur d’eau paraissait émaner de son corps tout entier. Etait-il né des nuages ou leur donnait-il vie ? Sa tête semblait penchée sur le sol et Naïta ne distinguait pas vraiment sa forme. Son dos miroitait tout en ondulant, renvoyant au soleil son éclat aveuglant, brillant comme les écailles argentées des poissons du torrent. Ça et là, entre les lambeaux de nuages qui accompagnaient les mouvements de la créature, Naïta distinguait des pattes arrière pourvues de doigts et couronnés de griffes immenses semblables à des serres de rapace. Ce qui impressionnât le plus l’enfant, ce furent les ailes de l’animal. A force d’en observer des fragments entre les volutes de nuages, la fillette nota une ressemblance troublante avec celles des chauves-souris qui vivaient dans la grotte de la gorge. Mais les siennes étaient d’un étrange bleu gris qui semblait disparaître à chaque mouvement entre les longs doigts osseux saillants sous la membrane. Naïta décela soudain un déplacement sous la tête de la créature. Elle s’acharnait sur une portion du sommet dans laquelle elle creusait en y enfonçant l’unique griffe qui terminait son aile au niveau du pouce. Une griffe de la taille d’un bras ! Après avoir dégagé une grande partie de la roche, le grand reptile y plongea la gueule et croqua les pierres qu’il avait déterrées.

    Étrange ! Une bête à l’allure si féroce qui se nourrit de cailloux ?

    Soudain Naïta sentit son pied glisser et elle perdit l’équilibre. Elle se rattrapa de justesse à une des aspérités du promontoire tandis qu’une bonne partie du sol se dérobait sous elle. Sans trop de difficultés elle se remit debout et colla sa poitrine à la paroi pour ne pas renouveler l’expérience périlleuse. Soufflant son soulagement, elle jeta de nouveau un œil vers la créature mais en resta pétrifiée.

    La bête l’avait entendue et s’était retournée. Elle regardait dans sa direction sans plus bouger. Elle l’avait vu. Elle guettait la fillette sans remuer une écaille, comme une statue de granit, prête à prendre vie et engloutir avec elle l’impudent qui profane son sanctuaire. Seules des spirales de chaleur tournoyaient hors de sa gueule entrouverte.

    Elle était magnifique et terrifiante. Le dessus de sa tête s’ornait de cornes comme en portent les bouquetins des hauts sommets. Entre celles-ci s’entrelaçaient des voiles nébuleux. Son regard rappelait celui des vipères des rochers, dont la protubérance écaillée au-dessus de l’œil dégage une éternelle colère. Naïta connaissait bien ce comportement animal. Lorsque la bête se fige et vous fixe dans les yeux avant de s’enfuir… ou de vous attaquer ! La fillette se mis à trembler. Cette bête là n’avait rien à voir avec les lièvres, les bharals ou les rares loups de la montagne. C’était un monstre venu d’un autre temps. Un être de feu et d'eau. Une chose effrayante à la mâchoire assez puissante pour broyer la roche. Et cette chose l’observait à présent.

    Naïta recula tout doucement pour disparaître de sa vue et s’enfoncer sous l’abri de la plateforme. Chaque pas qu’elle faisait, la sensation du sol sous ses pieds, sa main s’agrippant au rocher, elle croyait ressentir toutes ses choses au centuple tant ses sens étaient aux aguets. Elle se cala au fond du repli pierreux et s’accroupi, les bras autour de ses jambes flageolantes. Elle n’entendait rien et ce silence surnaturel si pesant l’obligeait à retenir sa respiration beaucoup trop bruyante selon elle. Réfréner les battements de son cœur s’avérait impossible avec l’air qui lui manquait.

    Le calme fut vite rompu par les premiers pas du monstre dans sa direction. Naïta sursauta malgré elle. Elle se recroquevilla encore plus sur elle-même, prise dans le rêve soudain de devenir minuscule et de s’enfoncer dans la terre pour disparaître. Les pas du monstre se rapprochaient, lentement mais sûrement comme le félin à l’affût d’une proie. La fillette étouffa un cri en voyant s’avancer l’énorme gueule devant l’unique ouverture de sa cachette de fortune. Tel un chaudron empli de braises ardentes, le grondement qui en sorti fini de la liquéfier sur  place. Elle tenta encore de reculer, luttant contre la terre glissante. Mais elle avait déjà le dos collé au fond de l’abri. Elle ne pouvait pas aller plus loin, elle était piégée. Elle ne bougea plus retenant son souffle en voyant enfin l’œil de la bête apparaître sous la plateforme. Un œil de serpent fixe et à l’allure sévère aussi gros qu’elle. Un œil bleu pur, parsemé de reflets mouvants, fendu d’une grande pupille noire, comme une porte à peine entrouverte sur un autre monde.

    Son museau était large et ses naseaux exhalaient une vapeur soufrée. Malgré sa terreur, Naïta se surprit à remarquer que l’animal portait une longue moustache aux reflets d’argent qui ondoyait de part et d’autre de son museau ainsi qu’une barbe sous sa gueule entrouverte, remplie de dents dressées pareilles à des poignards de glace. Des arabesques de fumerolles se dégageaient de cette tête énorme et se déployaient comme des bras tendus vers la fillette. Ils frôlèrent ses pieds crispés tels des doigts squelettiques de quelques revenants suppliants. Naïta tremblait de tous ses membres.

    Un second grognement s’échappa du monstre. Il pencha légèrement la tête tandis que sa paupière inférieure, se relevait à moitié pour mieux scruter le fond de la cachette. Il avança l’une de ses griffes sur le sol à une dizaine de pieds de Naïta. L’enfant tenta encore de reculer comme si elle avait pu pousser la roche derrière elle. Elle laissa échapper un sanglot de panique en voyant la griffe se rapprocher encore. La bête gratta une partie du sol qui se déroba un peu plus sous elle. La fillette se rattrapa de justesse à la paroi, y agrippant ses ongles jusqu’au sang. L’œil l’inspecta de nouveau. Pensant sa dernière heure arrivée, Naïta laissa échapper quelques mots, la voix chevrotante, essayant désespérément de garder ses jambes hors de portée des griffes de l’agresseur.

    « Ô, Huáng Shén Ming, hù yú, wǒ qí rǔ… Oh grand Arcane… protège moi, je t’en prie… » 

    A cet instant la bête se figea. Elle retira doucement ses griffes et jeta un dernier regard rouvrant sa paupière avant de disparaître dans un tournoiement de fumée bousculée par un vent de tempête. Naïta resta prostrée au fond de son abri encore un moment. Elle n’osait plus faire le moindre geste. Elle sursauta en entendant ce qu’elle pensa être des battements d’ailes qui s’éloignaient.

    Ce n’est qu’au bout d’un long silence qu’elle commença tout juste à se détendre et à ramper prudemment vers la sortie. Une fois dehors elle ne vit rien. Rien autour du promontoire, rien à l’horizon. Elle sorti et se mis debout difficilement. Elle avait mal partout et ne sentait plus ses jambes ni ses bras. Stupéfaite de ce qui venait de lui arriver et encore plus d’en être sortie vivante, elle se dirigea lentement vers les rochers auxquels le monstre s’était attaqué.

    Elle fut surprise de constater que sous les vulgaires cailloux que la créature avait dégagés se trouvait une pierre différente, une roche qu’elle connaissait bien. Malgré la peur encore bien ancrée dans sa poitrine, Naïta sourit en portant sa main à un médaillon qu’elle portait, caché sous ses vêtements.  ©

     à suivre...

    Chapitre V

     

     

     

     

     

     

     

    ... Comme un éclat de sommet.

     


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  • Lorsqu'un matin dans les montagnes les plus hautes de ce monde, la petite Naïta quitte la légendaire cité des nuages pour rencontrer son avenir à la pointe du Destin, elle voit venir beaucoup plus qu'une enfant comme elle aurait pu espérer. Mais est-ce le cadeau d'une vie, ou la pire des malédictions qui se présente à elle ce jour là?

     

    L'héritage de l'Azur ©

      

     « Où est-elle ? »

    Yâo sursauta. Le poing de Toräl s’était abattu sur la table avec fracas finissant de terroriser le jeune garçon qui se tortillait les doigts d’angoisse depuis que le chef de la tribu leur avait demandé, à lui et son père, de se présenter en sa demeure. Le père du garçon posa une main ferme et rassurante sur l’épaule de son fils.

    « Seigneur, croyez moi si Yâo vous dit qu’il ignore où se trouve votre fille, c’est la vérité. »

    « Comment cela serait-il possible ? » lança Toräl giflant l’air d’un geste impatient.

    « Ils passent leur temps ensemble. Il sait forcément quelque chose ! » 

    Le chef des Changü s’approcha du garçon tremblant qui n’osait regarder autre chose que ses pieds. Toräl lui releva le menton du doigt, l’obligeant à affronter son regard empli de colère. Yâo senti les larmes lui monter aux yeux. Incapable de parler, il ne pouvait que voire les lèvres du chef se pincer de rage face à son silence timoré.

    « Ne t’as-t-elle pas au moins dit vers quel endroit elle comptait encore baguenauder cette fois ? »

    Yâo secoua la tête sans mot dire, signifiant encore qu’il ignorait tout de ce que Naïta avait projeté aujourd’hui, même s’il était vrai que c’était la première fois qu’elle lui cachait quelque chose. Toräl se détourna de l’enfant et prit un ton menaçant.

    « Tu sais ce qu’il en coûte de me mentir mon garçon ! Et si j’apprends…»

    « Laissez donc cet enfant tranquille Toräl ! Il ne sait rien de l’escapade de Naïta. Par contre moi je peux vous dire où elle se trouve. »

    Les poings de Toräl se serrèrent. Le maître des prières ne se lassait décidément pas de le ridiculiser devant la grande tribu, remettant continuellement en cause son autorité. Son calme constant, même devant les colères du chef, était insupportable. Le chaman se tenait sur le pas de la porte de la demeure de Toräl avec, comme toujours, son bâton à la main où pendaient des chapelets de pierres dont le cliquetis avait le don d’agacer passablement le chef. Au moins l’entendait-on arriver avant qu’il n’ait besoin de se présenter ! Toräl délaissa le pauvre Yâo dont les jambes flageolantes ne le soutenaient plus, pour s’avancer vers le chaman.

    Le vieil homme resta impassible à son approche. Le chef de la cité portait haute sa fierté sur ses larges épaules. Ses yeux noirs, profondément emplis de suspicion, trahissaient trop souvent son caractère buté. Cela n’enlevait rien à son courage et à sa volonté de protéger les siens, mais la patience et la compassion lui étaient malheureusement inconnues.

    Toräl domina le chaman de toute sa hauteur, le dépassant d’au moins deux têtes. Le torse bombé derrière son plastron de cuir bouilli, il baissa les yeux vers lui comme sur un vulgaire insecte et demanda :

    "Alors vous savez où se trouve ma fille ? Et pourquoi ne pas être venu m’avertir plus tôt ? Depuis quand le savez vous ? Quand vous l’a-t-elle dit?"

    Le chaman leva une main pour mettre fin à ce flot de questions inutiles.

    « Du calme Toräl. Ta fille ne risque rien… Mais elle ne m’a rien dit. Je devine simplement où elle a pu aller, c’est tout. »

    Toräl leva un sourcil perplexe et délaissa le respect verbal qu’il devait au maître des prières.

    « Tu devines ? Mais comment peux-tu en être sûr ? »

    « Fais moi confiance. Elle ne va pas tarder à revenir parmi nous. Inutile de partir à sa recherche. »

    Toräl lui tourna le dos.

    « Ce n’était pas mon intention de toutes façons ! »

    Le chaman se rembrunit mais il entra tout de même dans la demeure faisant signe à Yâo et son père de prendre congé. Tandis qu’ils sortaient, le vieil homme alla s’asseoir dans un coin de la pièce. L’atmosphère y était aussi froide que l’accueil du chef de la cité. Le mobilier sommaire se réduisait à une grande table où Toräl étalait ses cartes des sommets et tenait les comptes. Une large chaise noire aux accoudoirs et dossier sculptés de nuages lui faisait face et une riche armoire laquée d’or et de cinabre habillait un seul des quatre murs où les pinceaux étaient suspendus au-dessus des pierres et des bâtons d’encre. De nombreux rouleaux de parchemins y étaient aussi soigneusement rangés. Toräl n’avait pas daigné ériger d’autel dédié aux ancêtres dans sa salle de travail. Aucune lumière de bougie, aucune fumée d’encens n’émanait de nul part pour répandre son parfum apaisant dans cette pièce. Chose qui n’aurait pas été vaine pour calmer les humeurs du chef.

    Le maître des prières, résigné, reprit la parole.

    « Je me doutais bien que tu ne comptais pas partir à sa recherche… »

    « Bien sûr que non !... Cette gamine est intenable ! »

    Un sourire imperceptible s’esquissa dans la barbe du maître des prières. Il fallait bien donner raison à Toräl sur ce point.

    « Elle met en danger toute la cité à n’en faire qu’à sa tête. Tant pis pour elle. Elle devra en assumer les conséquences. Mais cette fois il vaudrait mieux pour elle qu’elle ne revienne pas ! »

    Le chaman posa un regard soucieux sur le père de Naïta. 

    « La colère altère tes paroles Toräl… » Tempéra-t-il.

    « Elle n’altère rien ! » explosa Toräl, le visage écarlate. Il se tourna vers la fenêtre qui était derrière lui. Dehors les habitants de la cité s’affairaient aux derniers préparatifs. Les uns pour la fuite, les autres pour la défense. Toräl reprit, insistant à chaque syllabe.

    « J’avais formellement interdis à Naïta de sortir de la cité et de s’en éloigner seule et sans mon consentement… Non seulement elle m’a désobéi mais en plus elle nous fait prendre un risque considérable. »

    Il poussa un soupir, esquissant un rictus désabusé. 

    « Lorsque j’ai entendu l’Arcane, je n’ai pas réfléchi, pensant avant tout à préserver la cité du danger. Mais quand je me suis rendu compte que Naïta n’était pas parmi nous, j’ai compris que cette enfant n’était pas étrangère à ce qui venait de se produire. »

    Le chaman leva vers Toräl un regard interloqué. 

    « Qu’est-ce qui te fais penser une chose pareille ? Cette enfant n’a… » 

    « Cette enfant n’est pas comme nous ! »

    Le vieil homme, fatigué de cette rengaine, baissa la tête et ses épaules s’affaissèrent.

    « Oh… Non Toräl, pas encore. Pourquoi ne veux-tu pas entendre?... Ta fille ne risque rien et ne nuis en aucune façon à notre cité. Tu es en colère contre elle, soit. Mais aucun danger ne nous menace. Ni elle, ni l’Arcane.»  Assurât-il fermement. Toräl se tourna vers lui.

    « Ah ! Nous y voilà… Mais comment peux-tu en être certain ? » Lançât le père de la fillette avec un sourire narquois.

    Le vieil homme était si calme et si sûr de lui en toute circonstance que Toräl ne savait plus quoi faire pour le décontenancer. Son regard ne trahissait pas son grand âge. Ses yeux clairs et vifs semblaient tout voir et même observer jusqu’au fond de l’âme. Rien ne lui échappait.

    « Cette bête n’a rien d’un fléau. » affirmât-il lisant les pensées du chef des Changü.

    « L’arcane est une entité divine. Il ne nous fera aucun mal. Nous n’avons jamais eu à souffrir de ses apparitions et n’avons aucune raison de fuir devant lui. » 

    Toräl s’avançât vers lui.

    « Je t’en pris, cesse de me prendre pour un idiot ! Si tu dis vrai, que fait-il ici ? Pourquoi est-il passé si près de la cité ? Où est-il allé ? »

    Le chaman le regarda droit dans les yeux sans répondre. Toräl n’en fut pas décontenancé pour autant et se penchant un peu plus vers lui il ajouta,

    « Même si cela fait des années, tu sais comme moi que ce n’est pas la première fois que cela arrive, n’est-ce pas ? Oses me dire que tu n’y a pas songé un instant ! »

    Le maître des prières gardait le silence, laissant Toräl aller au bout de sa pensée. Le chef se redressa.

    « Tu sais que j’ai raison… Le simple fait que tu saches où Naïta se trouve ne me rassure pas, bien au contraire. La sérénité dont tu fais preuve me laisse penser que tu en sais plus que ce que tu veux bien me livrer. »

     Toräl se détourna de lui et alla s’asseoir sur son siège de bois noir, scrutant les cartes sur la table.

    « Et que dit l’Oracle ? Y a-t-il quelque chose à faire pour qu’il quitte nos terres ? »

    Le chaman baissa le regard. Toräl senti qu’il avait abordé un point délicat. « L’Oracle ne dit rien pour le moment. Mais… »

    « Alors nous ne sommes sûrs de rien et dans le doute je préfère mettre mon peuple à l’abri. Je dois protéger la cité ! Quant à Naïta, ce sera le cachot. Cette enfant m’a fait perdre assez de temps. Si l’Azur souhaite son retour, elle sera punie comme il se doit et surtout comme bon me semblera. Est-ce clair ?! » 

    Les deux hommes s’affrontèrent du regard puis au bout de quelques instants, le chaman se releva dans un soupir, prenant appui sur son bâton.

    « Comme tu voudras Toräl, mais je te conseille tout de même d’écouter ce que ta fille aura à dire pour sa défense. »

    Le chef se leva, lui tournant le dos il répliqua, sarcastique :

    « Si elle revient ! »

    Le vieil homme marqua un temps d’arrêt sur le seuil avant de s’éclipser sans rien ajouter. Il n’y avait rien à ajouter. Toräl était définitivement borné et dans son fort intérieur, le chaman se prit à souhaiter que l’enfant ne remette pas les pieds dans la cité.

    Mais il savait très bien que Naïta ne tarderait plus. ©

     

     à suivre...

    L'héritage de l'Azur : Chapitre VI

     

     

     

     

     

    Canne du Chaman.  

     

     

     


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