• L'héritage de l'Azur : Chapitre IX

     

    Lorsqu'un matin dans les montagnes les plus hautes de ce monde, la petite Naïta quitte la légendaire cité des nuages pour rencontrer son avenir à la pointe du Destin, elle voit venir beaucoup plus qu'une enfant comme elle aurait pu espérer. Mais est-ce le cadeau d'une vie, ou la pire des malédictions qui se présente à elle ce jour là?

     

     

     L'héritage de l'Azur ©

     

    Daïa, la mère de Naïta versa le thé épicé dans un bol ouvragé qu’elle tendit au chaman. Ces gestes étaient lents, précis et ourlés de délicatesse. Il émanait de cette femme une telle douceur que cela en était un vrai repos pour l’âme. Sa beauté était à peine flétrie et son teint de neige tranchait avec le noir profond de ses yeux, comme deux obsidiennes nichées chacune dans un croissant de lune pâle.

    Le maître des prières observait la jeune femme qui évitait son regard plus par respect que par pudeur. Naïta avait hérité de sa grâce même si parfois elle cédait la place à l’entêtement caractéristique de son père. Heureusement la fierté de Toräl et la sensualité de Daïa faisaient de la fillette une enfant belle et courageuse, digne de la tribu des Changü. Mais à cause de son père il en était tout autrement depuis sa naissance. Daïa le savait mieux que personne. La jeune femme attendait, patiente, face au maître des prières.

    Chacun d’eux était agenouillés sur un coussin de soie écarlate de part et d’autre du foyer où brûlait le charbon et sur lequel reposait la théière en fonte. Le parfum de l’infusion se mêlait agréablement à celles des braises et de l’essence du plancher sans âge. Les portes closes de bois ajouré laissaient passer la lumière et l’air de cette fin d’automne. Frais et chargé d’humidité comme toujours.

    Le chaman avait pris le chemin de la maison de Toräl tôt ce matin, laissant Naïta au repos et au calme forcé. La fillette montrait déjà des signes d’impatience, mais le maître était resté ferme. Pour le moment elle ne devait quitter ni le temple, ni le lit.

    Toräl était absent. Parti en reconnaissance avec ses hommes dans la forêt. Ce soir ils ramèneraient sûrement les derniers troupeaux dispersés dans la montagne. Ce que le chaman trouvait cependant bien inutile.

    De tous temps, lorsqu’il survolait le territoire de la cité des nuages, l’Arcane ne s’attaquait jamais aux troupeaux domestiqués. Il traquait ses proies bien plus haut. Se faisant certainement plus un régal de quelques takins ou bharals bien dodus que de petits bouquetins ou de maigres moutons. Mais rien ne servait de raisonner le chef des Changü. C’était peine perdue et le chaman avait une chose plus importante à faire auprès de l’épouse de ce dernier.

    Le maître but une gorgée du thé qu’elle lui avait servi tandis qu’elle se tenait les mains jointes sur ses jambes et la tête inclinée.

    « Buvons ensemble Daïa veux-tu ? »

    La jeune femme leva les yeux vers lui et s’exécuta, buvant du bout des lèvres. Le silence presque palpable entre eux se faisait pesant et le vieil homme ne voulait pas que la gêne s’installe. Il était certes inhabituel que le maître des prières se trouve en présence d’une femme seule. Encore moins qu’il lui rende une visite impromptue. Les habitants de la cité venaient au temple s’ils désiraient voir le maître et celui-ci visitait rarement les demeures des Changü.

    Mais depuis les révélations que Naïta lui avait faites, le chaman avait estimé nécessaire de s’entretenir avec la mère de la fillette. Elle avait subitement réclamé un médaillon qu’elle ne portait plus et qu’elle affirmait avoir sur elle lors de son séjour dans le cachot. Elle l’avait donc également lorsqu’elle avait vu l’Azur dans la montagne. L’enfant avait confié au vieil homme que le monstre avait brisé la roche de ses puissantes griffes et mis à jour un filon de quartz dans lequel se trouvait des pierres rouges, identiques à celle qui constituait ce fameux médaillon. Du Cinabre.

    Naïta lui avait rapporté dans les moindres détails de quelle façon le monstre s’en était emparé pour mieux les croquer. Le maître avait été peu surpris du comportement de la créature expliquant à Naïta que cette pierre ayant mille vertus, l’Azur, tout comme l’homme, les connaissait certainement.

    Depuis des siècles le Cinabre était utilisé par les Changü et bien d’autres peuples comme un puissant remède. Surnommé ‘‘Sang de l’Arcane’’ il avait le pouvoir de rendre son sang à celui ou celle qui en avait trop perdu, après une méchante blessure ou un enfantement. Elixir de longue vie, il était réputé pour calmer cœurs et esprits. Sa teinte rouge vif recouvrait depuis des générations les portes et les poteries d’un vermillon flamboyant. Lié par de l’armoise à de l’huile de ricin, il fournissait une encre d’excellente qualité et procurait aux sceaux des manuscrits un rouge éclatant, inaltérable.

    Quant à l’Azur, la pierre de bien maintenait peut-être en lui un éternel feu qui jaillissait de sa gueule lorsqu’il montrait sa colère et façonnait les nuages.

    Mais ce qui préoccupait le chaman à présent c’était de savoir où était ce médaillon.

    « Daïa je suis venu te voir car j’ai besoin de ton aide. Ta fille réclame un bijou qu’elle a perdu et qu’elle avait encore sur elle lorsqu’elle était au cachot. Sais-tu de quoi il s’agit ? J’avoue pour ma part ne pas y avoir prêté attention quand je l’ai sorti de sa geôle. »

    Le visage de Daïa s’assombrit et elle esquissa un sourire gêné.

    « Oui Maître. Je sais ce que c’est. C’est un bijou qui se donne de mère en fille dans ma famille mais il doit se porter caché sous les vêtements. J’ignore pourquoi. C’est ainsi depuis toujours. Je l’ai donné à Naïta… »

    « Quand ?!... quand lui as-tu donné ? » 

    Sur le chemin de ses réflexions, le chaman avait soudain pensé à une chose et n’avait pu s’empêcher d’interrompre Daïa. Sans hésiter la jeune femme lui répondit.

    « Je lui en ai fais don pour la fête de sa naissance. Je lui ai donné la veille alors qu’elle était couchée et que nous étions seules toutes les deux. » 

    « Et où est-il à présent ? » demanda le chaman qui se doutait de la réponse.

    Daïa le regarda comme si elle s’apprêtait à lui livrer un lourd secret.

    « Je le lui ai repris… Mais je lui rendrai. C’est que, lorsque nous avons préparée Naïta au rituel de guérison avec les femmes du temple, sachant qu’elle devait être vierge de tout vêtement et ornement, je n’ai pu faire autrement que de le récupérer. Je ne pensais pas qu’elle s’en souviendrait, après tous ces évènements. » 

    « Pourtant si, elle s’en souvient. Mais ne te tourmente pas. Tu pourras bientôt le lui rendre, elle ne tardera pas à rentrer chez toi. » 

    Daïa semblait soulagée mais le vieil homme ajouta une chose.

    « J’ai bien compris qu’il s’agit d’une relique secrète qui se transmet chez les femmes de générations en générations et qui ne doit pas être vue des hommes mais… peux-tu me le montrer Daïa ? » 

    La jeune femme eu un imperceptible mouvement de recul et porta instinctivement sa main sur sa poitrine couverte d’étoffes brodées.

    Le chaman la fixa. Le bijou était sur elle. Son regard insistant et un sourire bienveillant accompagnèrent son geste, invitant Daïa à lui dévoiler le médaillon. La jeune femme écarta les pans de son ‘‘ruqun’’ et lui présenta l’ornement qui manquait tant à Naïta.

    Soudain le chaman se souvint de cet objet dont la vue ne lui avait pas échappé le jour de la naissance de la fillette. Ses préoccupations étaient ailleurs que sur ce bijou ce matin là. Les gémissements de Daïa proche de la mort et puis le sang, la délivrance et les cris de l’enfant. Et ce médaillon caché sous la chemise de coton fin, trahi par la transparence de l’étoffe mouillée de sueur. Oui, il s’en souvenait comme si ces dix années n’avaient duré qu’un jour. Ce qu’il n’avait pas oublié non plus c’était la lueur des premiers rayons dorés qui inondaient le lit de Daïa et les appels de la petite qui s’étaient alors confondus de concert avec ceux de l’Azur. Au moment où le dieu céleste était passé comme une ombre furtive sur la cité, Toräl avait blêmi se précipitant au dehors alors que Naïta, couchée sur le sein de sa mère tenait dans ses minuscules doigts potelés le bijou de cinabre.

    Dès que l’enfant avait été mise dans son berceau d’osier suspendu près du lit de Daïa, tout signe de la présence de l’Azur s’était évanoui et la vie avait reprit son cours. Le vieil homme n’avait plus repensé à ce pendentif.

    Se refusant à le toucher, le chaman demanda à l’observer de plus près. La jeune femme le détacha de son cou et le tendit vers le maître des prières.

    Le médaillon était très vieux mais les ciselures, qui dessinaient une représentation de l’Arcane, avaient conservé toute leur finesse. Ce joyau devait dater des Anciens. En témoignait ce travail d’orfèvre qui frôlait la perfection. La pierre était ronde et plate avec en son centre un carré évidé par lequel passait le cordon noué qui permettait de l’accrocher à son cou. Mais avant tout il s'agissait, là encore, du cercle et du carré. Ciel et Terre de nouveau réunis au même titre que sur les Cóngs. Sur l’une des faces de la pierre se trouvait un grand reptile enroulé sur lui même. Fait d’écailles et de plumes il s’entourait de volutes de nuages et se lovait autour du carré, sa tête reposant sur sa queue. L’autre face quant à elle, présentait un dessin plus épuré mais assez énigmatique. Il semblait représenter de hauts sommets de montagnes gravés de signes étranges s’avérant très proches de ceux qui ornaient les pierres de prières. Le chaman devait admettre qu’il n’avait jamais vu pareille merveille. 

    Le maître remercia Daïa qui s’empressa de remettre son précieux trésor à l’abri. Le vieil homme se leva et pris congé de la jeune femme quand soudain, il se souvint d’une dernière chose qui lui taraudait l’esprit et qui allait sûrement s’éclaircir. Il se retourna vers la jeune femme avant de franchir le seuil de la demeure.

    « Encore une question Daïa. Peux-tu me dire si Naïta n’a jamais eu, durant son enfance, l’occasion de toucher ce bijou ou de te le ravir, même pour quelques instants ? »

    Daïa se tourna vers lui, interloquée mais fouillant ses souvenirs. Au bout d’un moment elle finit par lui répondre.

    « Il me semble que c’est arrivé oui… Une seule fois car j’ai toujours prie garde. Je lui apprenais une prière je crois et voyant le cordon autour de mon cou elle s’est empressée de déloger mon médaillon pour le toucher tandis que nous psalmodions ensemble. » 

    Malgré lui, le chaman senti un léger frisson lui parcourir l’échine.

    « Te rappelles-tu quand cela s’est produit ? Quel âge avait-elle ? » 

    « Je crois qu’elle avait deux ans… Oui c’est cela. Je m’en souviens à présent. Comment oublier cette journée. L’Arcane avait survolé la cité ce jour là. La vigie n’avait même pas eu le temps de donner l’alerte. » 

    Voilà le souvenir que le maître redoutait.

    « Tu es bien certaine qu’il s’agit du même jour ? » s’efforça-t-il de demander dans le plus grand calme, refusant de laisser paraître les conclusions qu’il en tirait.

    « Oui Maître, j’en suis sûre. Toräl était dans une colère noire. Mais l’Arcane a disparu une fois de plus dans la brume et on ne l’a jamais revu… Avant ces derniers jours bien sûr. » 

    L’enthousiasme de Daïa était soudain retombé sur ces derniers mots. La venue de l’Arcane bouleversait de nouveau sa vie. Sa fille lui manquait, elle avait tremblé pour elle. De plus elle avait dû supporter les humeurs et le courroux de son époux, qui avait fait subir à leur enfant, un châtiment qu’elle n’aurait pu imaginer et contre lequel elle s’était élevée sans résultat.

    Le maître des prières savait tout cela et il s’en désolait. Mais à présent il savait bien d’autres choses et devait prendre les décisions qui s’imposaient. Mais la mère de Naïta avait senti l’inquiétude du vieil homme.

    « Maître ?... Dois-je vraiment lui rendre ce médaillon ? » 

    Le chaman jeta un œil vers la jeune femme. Elle aussi avait compris que le bijou qui lui venait des Anciens était peut-être aujourd’hui une source d’ennui.

    « Je vais en parler avec ta fille mais je crois qu’il est en effet préférable que tu le conserve à l’abri. Si elle ressent le besoin d’appeler l’Arcane de quelques façons que ce soit et qu’elle porte ce pendentif, nos problèmes risques de venir à bout des forces de ton époux. » 

    Daïa resta stoïque mais ses yeux s’emplir de larmes.

    « Je savais que ce jour viendrait mais je ne pensais pas que mon présent en serait responsable. »

    « Tu n’a rien à te reprocher Daïa. Ta fille est différente mais pas exclue. Et je ferai tout mon possible pour que cela n’arrive plus. Reposes toi à présent. Je vais aller parler avec elle et dans quelques jours elle rentrera ici. »

    La jeune femme acquiesça, laissant partir le maîtres des prières. Elle le regarda traverser la cour, appuyé sur son bâton sculpté. Il avait franchi la grande porte de la demeure et son porche lorsque Daïa perçu un bruit sur le côté de la maison. Se penchant pour mieux voir du haut des marches elle aperçut  une silhouette menue qui se dirigeait vers elle. Rendue à la lumière de la cour elle reconnu son second visiteur de la journée. C’était Yâo.

     

    à suivre...

    L'héritage de l'Azur : Chapitre IX

     

     

     

     

    Éclat de Cinabre.

     

     


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :