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    La Pierre d'Égrégore © 

     

    La forêt était plus belle que jamais ce matin là. Les frondaisons étaient encore lourdes de la pluie de la veille qui poursuivait sa douce chute de feuille en feuille jusqu'au sol. Les premières perce-neige sortaient à peine de terre et l'hiver ne tenait plus que par quelque monticules blancs éparses. Le parfum de l'humus emplissait l'atmosphère de sa fragrance âpre mêlée au piquant des jeunes sèves. Les premiers rayons frappaient timidement à travers l'épais feuillage, faisant étinceler les gouttelettes, parant les tapis de fougères de mille diamants éphémères. 

    Imbolc serait bientôt là, avec ses fêtes, ses chandelles aux fenêtres, ses croix de paille, ses premières plantations, les premières naissances du bétail, ses danses et ses offrandes. Partout sur la lande, dans chaque village, chaque maison, on rendrait hommage à la Déesse et au Petit Peuple.

    Il n'y avait cependant pas besoin d'attendre les solstices ou les pleines lunes pour honorer la Douce Mère, et chez Kéréon se préparait un autre évènement. Le grand départ des migrateurs. Dès les premiers signes de chaleur, beaucoup d'oiseaux, rassemblés au grand lac brumeux, prendraient leur envol pour le Nord et ses neiges éternelles.

    Du haut de ses huit pouces, Kéréon faisait partie de l'expédition qui cette année porterait les nouvelles à travers le parcours des cygnes chanteurs et les oies sauvages.

    Au cœur du Bois Secret, le sol perpétuellement humide et épais s'enfonçait doucement sous les chausses de cuir rouge du gnome, à chacun de ses pas. Il se hâtait vers son foyer sous la terre. Il fallait terminer les derniers préparatifs avant de prendre le ciel. Il fallait aussi prendre le temps de faire ses adieux à Chanà, sa petite femme adorée.

    Kéréon était né dans cette forêt. Il en connaissait les moindres recoins, des terriers aux nids, de la formes des rochers à celle des clairières, des multiples parfums qui habitaient chaque lieu, les demeures de ces semblables, nichées, cachées ici et là, bien dissimulées dans le creux d'un tronc, sous les joncs d'une marre, entre les grandes racines d'un chêne ou encore creusées dans une vieille souche. Pour bâtir leur maison, les gnomes étaient les maîtres du camouflage. Il aurait fallu être un fin connaisseur et avoir un œil plus qu'aiguisé pour parvenir à trouver leurs cachettes. Les hommes en étaient incapables. De toutes manières les humains ne savaient pas regarder, observer, et cela valait mieux pour les gnomes et tout le petit peuple. Car même si beaucoup les respectaient, Kéréon savait depuis toujours qu'il ne valait mieux pas se montrer à eux. Rien n'était certain.

    Les légendes et surtout les fausses rumeurs, allaient bon train sur les créatures de la forêt. Tout se confondait dans l'esprit des hommes. Les avides pensaient qu’attraper un gnome leur apporterait fortune, les peureux pensaient qu'ils enlevaient les nourrissons, les autres croyaient que leur chaparder leur bonnet pointu les rendait invisibles. Kéréon sourit pour lui même à cette pensée. Les gnomes ne pouvaient se rendre invisibles. Mais ils n'en avaient pas besoin, ils savaient si bien se fondre dans tout ce qui les entourait. D'ailleurs il était bien rare que l'un d'entre eux se fasse voler son bonnet rouge. Si cela devait arriver, ils étaient capables de s'enfuir à toutes jambes faisant preuve d'une vitesse tout aussi impressionnante qu'un lièvre ou un renard. De plus chaque gnome portait sous ses chausses une semelle d'écorce dans laquelle il taillait en relief l'empreinte d'un oiseau ou d'un petit rongeur. Ainsi il ne laissait jamais ses propres empreintes dans sa fuite.

     

    à suivre...

     

    La Pierre d'Égrégore : Chapitre I

     

     


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