• L'héritage de l'Azur : Chapitre XIX

     

    Lorsqu'un matin dans les montagnes les plus hautes de ce monde, la petite Naïta quitte la légendaire cité des nuages pour rencontrer son avenir à la pointe du Destin, elle voit venir beaucoup plus qu'une enfant comme elle aurait pu espérer. Mais est-ce le cadeau d'une vie, ou la pire des malédictions qui se présente à elle ce jour là?

      

    L'héritage de l'Azur ©

      

    La petite pirolle se débattait dans la cage de fortune que Naïta avait confectionnée à l'aide de multiples brindilles. Par un système ingénieux de tissage des branchages glanés ici et là, la fillette avait réussi à fabriquer un piège où l'oiseau bleu à bec rouge s'était fait prendre dans un goulot sans retour. Ses battements d'ailes frénétiques et désespérés ne cessaient pas et l'enfant avait mal pour elle. Elle avait accéléré le pas pour transporter la cage jusqu'au sommet d'une longue pente rocailleuse où elle s'était déjà rendue plusieurs fois avec Lung depuis que le chemin de la caverne s'était ouvert à eux, révélé par le départ de l'Azur.

    Depuis, la vie s'était mise en place, organisée autour de matins de chasse, de journées d'apprentissage et de soirs autour du nid. Avant de se confectionner un arc digne de ce nom, Naïta posait des collets dans les buissons éparses d'épineux mais les prises étaient rares et bien maigres. Les butins de leur mère lui manquaient. Le soir auprès du feu, le dos calé sur le flanc de son frère d'écailles bleues, elle taillait avec patience et précision un long morceau de bois qu'un beau jour il faudrait bander à l'aide de tendons conservés et prélevés sur les derniers barhals ramenés par l'Azur.

    L'espoir était revenu un temps avec cette bouffée d'air et la découverte si inattendue des alentours du nid. Mais leur caverne se trouvait déjà si haute, dissimulée dans les sommets. Il fallait trouver un chemin sûr pour pouvoir entamer une descente vers les premiers arbres et atteindre plus de gibier. Certains soirs, la fillette désespérait. Le bois trouvé pour son arc était de qualité médiocre mais c'était déjà une chance de l'avoir déniché aux environs de la caverne où seuls quelques buissons rabougris s'éparpillaient, victorieux sur l'hiver qui touchait à sa fin. Plus tard, il lui faudrait trouver mieux. Se fabriquer des outils tels qu'une hache en pierre taillée et atteindre la forêt pour prélever au cœur d'un tronc de cèdre ou d'un if un bois à la fois plus souple et plus solide. Ses premières flèches n'étaient pas mieux. Taillées directement et péniblement dans des os de carcasses, elles ne promettaient pas une stabilité ni une maniabilité redoutable. Ses nouvelles armes étaient de fortune. Mais c'était toujours mieux que rien.

    En attendant de pouvoir se nourrir de nouveau, Naïta prélevait chaque matin, dans un des bols en os, une goutte du sang de l'Azur. Leur mère lui avait fais don de ce fluide de vie extraordinaire et pourtant bien réel que les humains convoitaient tout en le croyant légende. Ce mythe d'élixir d'immortalité n'en était pas vraiment un. Le sang que la fillette avait recueilli ne caillait pas, ne séchait pas et ne refroidissait pas. Il conservait son aspect liquide, tiède et visqueux, jour après jour sans subir l'épreuve du temps ou du froid. Son gout puissant s'exprimait même dans une seule goutte que la fillette posait chaque jour sur sa langue. Une seule goutte suffisait à rester en vie un jour de plus sans ressentir ni faim ni fatigue. Mais elle savait que ce substitut ne pouvait pas durer une éternité. Ni pour elle, ni pour son frère.

    Elle tentait donc d'apprendre à Lung comment chasser, mais il ne savait que ramper entre les buissons et les rochers. Et le petit gibier ne l'intéressait pas. Comme le jeune oiseau tout juste sorti du nid, il fallait qu'il apprenne à voler. Mais il ne semblait pas en ressentir l'envie et Naïta s'était donné pour devoir de lui faire comprendre cette nécessité en lui montrant.

    La pirolle avait fini par se calmer, calée dans le fond du piège, elle semblait s'être résignée sur son sort alors que Naïta posait sur elle un regard bienveillant. Dans quelques instants le bel oiseau bleu comprendrait qu'elle ne lui voulait aucun mal. La fillette avait atteint le sommet de la pente de roches grises et Lung leva vers elle son museau anguleux et son œil curieux de ce qu'elle tenait dans ses mains. Sa sœur lui lançât un regard sévère lui signifiant que ce qu'elle amenait ne constituerait pas un déjeuner et le jeune Arcane poussa un léger grognement de déception.

    "Observe donc ce que je t'amène au lieu de faire ta mauvaise tête, Lung." lui dit-elle amusée.

    Puis sans attendre, elle plongeât sa main dans la cage pour en sortir la pirolle, tenue par les pattes. Cette dernière se débattait de nouveau avec vigueur mais Naïta la maintenait fermement d'une main gantée de lanières en peau tannée.

    "Regardes!"dit elle en tendant le bras vers le ciel sans lâcher les pattes de l'oiseau. "Observes Lung et fais pareil. Tu dois battre des ailes comme ça. tu dois voler."

    Lung regardait l'oiseau en clignant sa paupière, penchant le museau de côté.

    La fillette se tourna vers lui agacée.

    "Tu veux manger? Tu veux manger cet oiseau? Et bien tu n'as qu'à l’attraper!"

    Le jeune Arcane se redressa en ouvrant la gueule. Naïta se surpris à crier en s'écartant de lui.

    "Ouvres tes ailes! Lung, ouvres les, bon sang!"

    Mais Lung se traina vers elle alors qu'elle reculait.

    Naïta repris la pirolle contre sa poitrine en soupirant. Le découragement la gagnait cela faisait des jours et des jours qu'elle tentait de faire voler son frère. Jusque là rien n'y avait fait.

    Elle avait couru avec lui dans les descentes vertigineuses au risque de se rompre elle même le cou. Elle avait levé ses bras pour lui montrer comment l'imiter. Elle l'avait encouragé. Elle avait tempêté contre lui. Cela ne changeait rien.

    Lung avait tout juste réussi a se dresser et ouvrir ses ailes mais sans daigner les remuer et encore moins battre l'air avec.

    Il ne savait que ramper comme une chauve souris atrophiée et la fillette commençait à désespérer de le voir un jour prendre son envol.

    Qui sait, sans doute était-ce impossible, rien ne prouvait qu'il était identique à l'Arcane.

    Ou alors fallait il attendre encore? Son frère était peut-être encore trop jeune. Pourtant il devenait urgent d'élargir le périmètre de leur exploration autour de la caverne. La nourriture n'était pas suffisante pour prendre des forces et parvenir au moindre résultat et, sans vol, aucune chasse de belle envergure n'était possible. A pied il y avait beaucoup trop de chemin à parcourir.

    Même avec son arc et ses pauvres flèches, comment ramènerait elle les carcasses au nid? Lung n'allait tout de même pas ramper sur des toises tout en portant leur butin.

    Naïta lâcha la pirolle qui s'échappa dans le ciel. Tous deux restèrent le regard fixé sur l'oiseau qui retrouvait sa liberté dans l'air frais du matin.

    Tandis qu'elle voyait le volatil disparaître, Naïta senti gargouiller son ventre.

    Son estomac lui brulait les entrailles comme si il la dévorait de l'intérieur.

    Elle maigrissait de jour en jour, se sentait de plus en plus faible malgré le sang de l'Arcane.

    Même son séjour dans les geôles de la cité lui revenait comme un souvenir moins invivable.

    Elle se retourna vers Lung. Le regard de son frère se plongea dans le sien.

    Sa raison se brouilla quelques instants et elle vit leur mère ramener de la viande fraîche au nid. Un souvenir qui ne rassasiait que leur esprit.

    Oui, la faim les taraudait tous les deux.

    Soudain exaspérée, Naïta tomba à genoux devant Lung.

    "Pourquoi tu n'y arrives pas? J'ai besoin de toi, tu comprends?... Notre mère ne reviendra pas."

    La fillette sentait monter la colère en elle, même si elle ne parvenait pas réellement à en vouloir à son frère. Il n'y avait pas de solution.

    Elle se releva et dévala la pente en trainant des pieds, sentant derrière elle Lung lui emboiter le pas.

     

    Les images se mêlaient. Des petites graines de nigelle roulaient au creux de sa paume. La fillette fermait ses doigts sur sa pitance. Elle relevait la tête pour découvrir le foyer où sa mère préparait le repas. Une odeur d'agneau, d'épices et de galettes cuites envahissait ses narines tandis que le sourire de sa mère s’évanouissait avec le parfum de la maison. Son père surgissait du temple avec ses hommes de main tirant tout autour d'eux. De leurs pàonà s’échappaient des volutes de fumée d'où renaissait l'Azur écrasant tout sur son passage. Ses yeux de ciel se dissipaient pour laisser naitre la déesse des glaces et son visage à la fois bienveillant et mélancolique. Autour de son cou, le serpent couvert de plumes la fixait intensément... Naïta ouvrit les yeux sur cette vision.

    Les rêves de plus en plus confus et violents se succédaient depuis quelques temps.

    Elle dormait la plupart du temps pour tromper la faim. Et la faim étant de plus en plus grande, et ses forces de plus en plus maigres, le sommeil était le seul et dernier remède possible.

    Mais son esprit troublé lui donnait des cauchemars et toutes ses heures passées dans la caverne ne lui apportaient pas le moindre repos.

    La fillette se leva lentement. Lung dormait paisiblement au fond du nid.

    Naïta jeta un regard vers lui. Dehors il faisait froid mais le soleil était au zénith et le ciel était tel que l'Azur leur avait laissé. Clair, pur mais aussi désert. Abandonné de sa présence. L'enfant s’avançât sur le promontoire, jusqu'au bord du vide. Une légère brise venue des profondeurs souleva ses mèches courtes en bataille autour de son visage. Sous ses yeux, sous ses pieds et autour d'elle, s'étendaient les plus hauts sommets du monde connu. D'ici on ne percevait pas le fond des vallées. Il n'y avait que des pics acérés, enneigés, enchevêtrés les uns aux autres, telle une barrière entre elle et le reste de la Terre. Tout était si loin. Quelque part dans l'un de ces creux de brume se nichait la cité des nuages. Perdue... Trop loin pour être vue. Ailleurs, la vie. Ici il n'y avait plus que le silence assourdissant des monts immaculés.

    Son cœur se serra en revoyant le visage de sa mère en songe. Naïta ne se rendit compte qu'elle pleurait que parce que, tout à coup, ses larmes tièdes réchauffaient ses joues rougies par le froid. Elle sentait ses dernières forces l'abandonner, et soudain les sanglots se succédaient sans plus s'arrêter. Elle n'essaya même pas de les étouffer. Instinctivement elle porta sa main à son médaillon.

    Au même instant elle entendit Lung grogner. Elle se retournât vers lui. Son frère s'était redressé dans la caverne et la regardait. Les yeux de la fillette s'embuèrent encore plus, se remplissant de tendresse. Sa main crispée sur la pierre de cinabre, son cœur pétri de regrets. Elle regardait Lung et ce dernier sentait toute sa tristesse l'envahir. Il s’avançât vers elle haletant comme il le faisait lorsqu'il était inquiet.

    "Non"cria-t-elle en tendant son bras et sa paume ouverte vers lui.

    Cette paume marquée à jamais de sa cicatrice. A bout de souffle et de nerfs, Naïta retourna sa main tremblante vers elle pour voir la trace de sa blessure. La pensée furtive que cette douleur n'était rien comparée à celle qu'elle éprouvait aujourd'hui, la traversa.

    Elle releva ses yeux bridés et trempés de chagrin vers Lung qui la fixait de ses yeux reptiliens sans bouger.

    Elle lui sourit doucement puis elle recula d'un pas, ferma les yeux et se laissa tomber en arrière comme pour se coucher sur le vent, son corps basculant dans le vide. La dernière chose qu'elle entendit fut le hurlement de son frère.

     

    à suivre...

     

    L'héritage de l'Azur : Chapitre XIX

     

     

     

    Petite Pirolle

     

     

     

     


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